samedi 21 juin 2008

Le recrutement dans le BTP et son état...


- Comment expliquer la forte croissance du bâtiment et des TP dans une conjoncture économique plutôt morose ?

Effectivement, le dynamisme constaté depuis 2003 peut surprendre. Depuis longtemps, l’activité du BTP a accompagné, en les accentuant le plus souvent, les phases de reprise ou de récession de l’économie. Cela avait été le cas pour la période de récession de 1991 à mi-1997, puis lors de la forte reprise qui a suivi jusqu’en 2001, et qui était due à plusieurs facteurs : amélioration de la conjoncture économique générale, prêts à taux zéro, amortissement « Périssol », tempête de fin-1999 et surtout effet de l’application de la TVA à 5,5% sur l’entretien de logement en septembre de la même année.

Mais après une pause, de fin 2001 à mi-2003, il semble bien que ce soient des moteurs propres à la demande d’activité du secteur qui ont relancé celui-ci : citons les bas taux d’intérêts, des besoins en logement non-satisfaits, l’amortissement « de Robien » dans le logement neuf, les prorogations de la TVA à 5,5 % dans l’entretien, mais aussi le dynamisme des travaux publics, portés par la demande des collectivités.

- Cette croissance devrait se traduire par la création de nombreux emplois : dans quels métiers en particulier ? Quid de l’Ile-de-France ? D’une manière générale, font ils appel à des compétences ou des qualifications plus élevées ?

Cette longue phase de croissance, depuis huit ans, se traduit effectivement par près de 200 000 créations nettes d’emplois salariés, (1 137 000 salariés fin 1997, 1336 000 attendus fin 2005) plus une soixantaine de milliers d’équivalents en intérim supplémentaires dans le pays (75 000 en 1997, 135 000 en 2005). Cette forte reprise a surtout concerné l’ouest et la moitié sud de la France, l’effectif de l’Ile de France étant resté stable à 230 000 salariés permanents plus 16 000 à 17 000 intérimaires durant la même période.

D’une manière générale, les besoins en emploi du secteur correspondent à des compétences et des qualifications de plus en plus élevées. Ceci est consécutif au poids relatif croissant, à long terme, du second œuvre du bâtiment sur le gros œuvre et les travaux publics qui ont connu les plus forts gains de productivité. Ainsi, il y a trente ans, on comptait un salarié du second œuvre pour un du gros œuvre ; aujourd’hui, plus de deux pour un. De 1998 à 2005 inclus, les travaux publics ont gagné 25 000 salariés, à 250 000 (+ 11 %), le gros œuvre du bâtiment 45 000, à 345 000 (+ 15 %) et le second œuvre 129 000, à 741 000 (+ 21 %). (Estimation SG/DAEI/BASP ; d’après INSEE et CNS/BTP). Aujourd’hui, sur 100 salariés du secteur, 26 sont dans l’encadrement, 48 sont ouvriers qualifiés et 4 de futurs qualifiés par la voie de l’apprentissage.

Au début de 2005, les tensions les plus fortes étaient constatées, sur l’ensemble du pays, dans un grand nombre de corps d’état : maçonnerie, charpente (métallique et bois), menuiserie, couverture, plomberie et chauffage. En Ile de France, comme en Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais, on constatait un déficit de maçons et d’ouvriers qualifiés du béton et des travaux publics. Pour ces métiers, on enregistrait à l’ANPE un flux d’offres supérieur aux demandes.

- Pourquoi le secteur reste-t-il aussi dépendant de l’intérim ? Pourquoi les entreprises du secteur rencontrent-elles autant de difficultés à recruter ? Dans quelles proportions, par branches, tailles d’entreprises ?

Si l’on calcule ce que l’on appelle le « taux de recours » à l’intérim, c’est-à-dire le rapport entre équivalents-salariés envoyés par les entreprises de travail temporaire et salariés propres à l’entreprise utilisatrice, celui-ci paraît élevé : environ 10 % actuellement, ce qui place le secteur en seconde place derrière l’automobile pour ce mode de « gestion de la main-d’œuvre ». Mais la part de l’intérim (135 000 personnes en moyenne en 2005) dans l’ensemble des actifs du BTP, soit un total de 1 736 000 travailleurs salariés, indépendants et intérimaires en cette fin d’année 2005, se situe à moins de 8 %. Encore convient-il de signaler qu’à la différence d’autres secteurs à forte saisonnalité de leur activité, la construction n’a que modérement recours aux CDD : environ 70 000 des 1 336 000 salariés propres aux entreprises sont sous ce type de contrat, soit 5 %, le restant étant employé en CDI.

Cela étant, les causes du recours à l’intérim par le BTP sont assez « classiques » : assurer les à-coups du recrutement de grands chantiers par définitions temporaires, ou nomades, permettre de faire face à la « haute saison » d’activité mais aussi moyen indirect de recruter, surtout en période de hausse de l’offre de travail : on estime que le quart des missions se terminent par une offre d’embauche dans l’entreprise utilisatrice. C’est ainsi que, sur le plan statistique, les retournements à la hausse du travail temporaire (1985, 1997 ou 2003) sont annonciateurs d’une hausse de l’emploi permanent.

Les difficultés de recrutement, qui avaient été très élevées jusqu’en 2001, puis en décrue jusqu’à l’automne 2003, confirment en 2005 leur acuité retrouvée l’année précédente.

Dans les travaux publics, la part des entreprises ne pouvant augmenter leur production faute de personnel (65 % en juillet 2000 mais 21% en octobre 2003) atteint 39 % en octobre 2005. Celle des entreprises de bâtiment rencontrant les mêmes difficultés (40 % à mi-2000, 15 % en décembre 2003) s’élève à près de 27 % à cette même date.

Plus généralement, les entreprises de bâtiment « éprouvant des difficultés de recrutement » (environ 80 % en 2001 et 2002 et 71 % en octobre 2003) sont 77 % en octobre 2005. Parmi celles-ci, 53 % signalent, à cette date, des difficultés d’embauche d’ouvriers qualifiés et 17 % de techniciens et d’agents de maîtrise. Enfin, environ 10 % des entrepreneurs de bâtiment signalent même, à cette date, des difficultés de recrutement de manœuvres ou d’ouvriers spécialisés.

Parmi les seules entreprises artisanales, 58 % sont dans ce cas en octobre, soit une proportion pratiquement inchangée depuis cinq ans.

- Ce dynamisme tire-t-il les salaires et avantages du secteur à la hausse ?

Tout d’abord signalons que ces questions relèvent de négociations de branches entre partenaires sociaux, sous l’égide du ministère chargé de l’emploi. Les professionnels employeurs affirment avoir fait, depuis plusieurs années, des efforts substantiels afin de revaloriser les métiers, tant sur le plan de l’image que sur celui des rémunérations, et les représentants des personnels rappellent, de leur côté, qu’il reste du chemin à parcourir.
Au-delà de ce débat classique il apparaît bien qu’une revalorisation soit en cours depuis, au moins, 1998, si l’on en juge par les statistiques des indices de base des salaires ouvriers tenues par le Ministère de l’Emploi et de la Cohésion Sociale. Pour ceux-ci, rapportés en indice 100 au quatrième trimestre 1998, la construction atteignait 129,8 en juin 2005 alors que la moyenne de l’ensemble des secteurs marchands se situait à 125,5. En fait, sur les quarante-deux principaux secteurs de l’économie marchande celui de la construction constitue pratiquement la deuxième meilleure revalorisation de ces dernières années avec les services aux particuliers (129,9), derrière l’automobile (131).

On peut également observer que le BTP se situe en bonne place pour le nombre d’accords salariaux récemment signés, parmi les 84 branches professionnelles concernées. La direction des relations du travail (DRT) du Ministère de l’emploi a jugé « intéressants et novateurs » les 14 accords passés dans les TP et les 21 passés dans le bâtiment pour le niveau ouvrier (accords régionaux), la grille nationale des ETAM (employés, techniciens et agents de maîtrise) devant être modifiée dans le cadre d’une future révision de la convention collective.

- Quelles sont les perspectives d’emploi du secteur à plus long terme, compte-tenu du nombre important de départs à la retraite prévus d’ici à 2010 et du peu d’empressement des candidats à embrasser ce genre de carrières ?

Il demeure difficile, bien sûr, de prévoir avec certitude des besoins d’emplois qui découlent eux-mêmes de perspectives d’activité qui ont souvent beaucoup fluctué ces trente dernières années. Des réflexions sont menées actuellement avec les professionnels dans le cadre de l’observatoire du BTP. Mais si l’on prend le cas, théorique, d’une progression de l’activité d’un point par an en volume les besoins en renouvellement sont proches de 100 000 emplois pérennes chaque année : 75 000 à 80 000 en bâtiment et environ 20 000 en travaux publics.

Or, dans l’immédiat les perspectives favorables d’activité pour 2006 (de 3,2 % à 4,2 % en volume) et d’emploi (de 27 000 à 41 000 salariés permanents supplémentaires attendus) continuent à placer la construction, mais aussi les acteurs publics et privés de la formation et de la qualification du secteur, devant la nécessité d’assurer son renouvellement en personnel d’encadrement comme en main-d’œuvre qualifiée.

Mais on peut nettement contester l’idée, assez répandue, selon laquelle les jeunes se détourneraient autant du secteur de la construction.

Il faut observer que les effectifs en formation de bâtiment ou de travaux publics demeurent élevés, puisque depuis une quinzaine d’années près de 200 000 jeunes, toutes années confondues, suivent constamment un cursus menant au secteur. Parmi ceux-ci, une centaine de milliers le terminent chaque année, couronné du diplôme pour sept sur dix d’entre eux. Par ailleurs, les flux d’entrées de jeunes ont fortement augmenté depuis plusieurs années, et la seule catégorie des salariés de moins de 25 ans, passée de 112 000 en mars 1998 à 177 000 en mars 2004, devrait avoisiner 200 000 en 2006.
Autre exemple : le nombre des apprentis a pratiquement doublé depuis 1993, passant de 30 000 à plus de 55 000 en douze ans. Les campagnes d’information menées auprès des jeunes semblent avoir porté, puisque le nombre d’entrées dans les centres de formation en apprentissage (CFA) a augmenté de 7 % à la dernière rentrée scolaire et que l’on signale un nombre croissant de CFA pleins. Notons que d’autres questions pourraient se poser à terme comme celles de l’insertion des adultes, du recrutement d’enseignants spécialisés mais aussi celle, récurrente, de l’insertion des jeunes dans l’entreprise. Sur ce plan, les enquêtes d’insertion menées par l’éducation nationale auprès des titulaires d’un CAP ou d’un BEP obtenu par apprentissage sont encourageantes : 65% de ces jeunes qualifiés travaillaient dans le secteur six mois plus tard en 1999, et près de 85 % en 2004.

De ce point de vue, le dynamisme de l’activité du BTP depuis 1998 a été une occasion particulièrement bienvenue d’un renouvellement de personnel qui n’est pas seulement à venir mais se trouve déjà bien engagé. Il reste, bien évidemment, à le renforcer.



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